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LA BÊTE NOIRE, par Elina.

Le texte grand gagnant du concours est celui d'Elina, et sans plus attendre, le voici :


Le vide. C’est ce que Bruno ressentait constamment depuis le 31 janvier 1994. En même temps, dans une cellule, à part du vide (et des WC à la vue de tous), il n’y a pas grand-chose. Après deux ans et onze mois enfermé, il était un poisson qui tourne en rond dans son bocal. Il passait alors la plupart de ses journées à penser ou à imaginer. Mais même malgré ça, il en avait oublié la raison de son incarcération. En réalité, il se savait innocent mais avait cessé de s’étrangler à le dire aux policiers. De toute façon, « ils sont bornés, ils ne voient que ce qu’ils veulent », comme il disait. Cela était d’autant plus insupportable, de vivre condamné pour rien. Dans la vie de tous les jours, il reflétait la sagesse, toujours le sourire aux lèvres. Un homme généreux qui n’hésitait pas pour aider une personne âgée à traverser la route ou pour donner une pièce à quelqu’un qui n’avait pas assez pour prendre le métro. Aimant comme un papa poule et doux comme un agneau. Des yeux bleus clair et des cheveux châtains foncés. Le visage tendre, des traits plutôt fins pour un homme de 46 ans. Entre autres ; il n’avait rien à faire ici.

Parfois, Bruno comblait le vide avec une feuille et un stylo. C’était à sa fille, Louise âgée de 17 ans, qu’il écrivait. Celle-ci ne lui avait encore jamais répondu, à la plus grande déception de son père. Elle faisait régulièrement des stages en tant qu’infirmière et en plus des cours, cela ne lui laissait plus beaucoup de temps pour lui écrire en retour. Mais ce n’était pas ça. Il savait qu’elle lui en voulait, mais il ne perdait pas espoir et tentait de se racheter à chaque nouvelle lettre envoyée. Le plus douloureux est qu’il ignorait la raison de sa rancœur. Alors de nombreux soirs, il était assis sur le rebord de son lit tenant la pose du Penseur de Rodin, et ressassait son passé, se demandant comment cette relation père-fille avait-elle pu se dégrader aussi rapidement. Le refus d’adopter un chat ? Lorsqu’il l’avait forcée à recopier sa leçon car ce n’était pas assez soigné ? Ou bien la fois où il n’avait pas pu se rendre à son audition de violon ? Il se rendait compte qu’il retraçait simplement la vie de parent. Et dans tout ça, il n’avait pas trouvé où est-ce que cela avait commencé. Avant, ils vivaient complètement normalement, son ex-femme, Louise et lui. Une petite famille simple, qui, le samedi appréciait se balader au bord du lac, non loin de leur charmante maison qu’ils habitaient depuis la naissance de Louise. S’en suivit du divorce, et de la garde alternée. Mais Louise avait l’air de plutôt bien le vivre. Du moins, elle se faisait discrète. Aujourd’hui, elle refusait tout contact avec son père. Il n’avait jamais eu de visite au parloir de sa part, donc c’était d’autant plus compliqué de renouer les liens avec elle. La mère de Bruno était la seule qu’il trouvait assise sur cette chaise de l’angoisse où ça sent la trouille et la transpiration à plein nez. Malheureusement, sa mère et lui n’étaient pas si proches. Il restait un mois avant la liberté de Bruno. Et il avait peur qu’à son retour à la maison, il soit finalement aussi seul que dans sa cellule. Assez cogité ! Il décidait, une fois de plus de se mettre à son bureau pour une nouvelle lettre pleine de regrets.


Le 23 décembre 1995

Depuis la cellule n°24


Ma très chère Louise,


Encore une fois je m’obstine à t’écrire, alors que je ne reçois plus de nouvelles de toi depuis bien trop longtemps. Chaque jour je ne peux m’empêcher de m’imaginer ce que tu fais, à quoi tu penses, ce que tu vis. Que dis-je... chaque heure, chaque minute, chaque seconde, depuis ces nombreux mois. Je ne compte même plus les jours. Tout devient si long depuis que je suis enfermé ici. Depuis cette cellule, le temps est toujours gris, et le moral toujours puni.

Cela fait longtemps que je n’ai plus vu ton joli visage, ces yeux en amande et ces petites joues roses que tu tiens de ta mère. Je regrette les jours passés sans toi. J’aurais dû être plus présent, et à l’écoute. Je vais me rattraper. Quand je sortirai d’ici, on se rejoindra sur la place, tu sais, là où il y a la fontaine que tu adores ! Et je te payerai une glace goût fraise, comme avant, assis sur le banc face à la grande statue. C’est pour bientôt.

Signé : Ton Papa qui t’aime.


Il s’en voulait d’être ici. À la place il aurait dû être assis sur le canapé en cuir de la maison à côté de sa fille, face à la télé, en train de regarder des émissions idiotes mais divertissantes. Demain, les fêtes de Noël débutaient. Louise était peut-être attristée de ne pas les passer avec son père, espérait-il.


Ce début de janvier était déjà long, mais tous les jours se ressemblaient pour Bruno. Il commençait même à douter que le futur existe. Il se sentait bloqué dans le présent. Dans une tempête infernale qui ne finit jamais. Il était tellement immobile qu’on pourrait croire qu’il ne cligne jamais des yeux. Ça lui arrivait de sortir de sa cellule, pour se rendre à la cantine. Mais la nourriture était fade. Même ça, c’était sans couleur. Les uniques couleurs qu’il arrivait à distinguer, c’était le bleu de son encre et la rouille des barreaux de la fenêtre. Son teint devenait livide et ses yeux rouges. Par moments, il n’arrivait même plus à connecter les quelques neurones qu’il lui restait. Pourtant il avait constamment l’image de Louise devant les yeux tant elle était présente dans son esprit. Bruno se sentait souvent mentalement démuni mais malgré son absence, Louise donnait de la force à son père. En fait, elle était sa seule force pour vaincre le syndrome de la prison : le temps interminable.

C’était l’heure de la distribution du courrier. Bruno n’attendait même plus de réponse. Il soupçonnait même que ce soit un complot pour qu’il se sente au plus mal dans ce trou à rat, qu’il devait payer pour la faute qu’il n’avait pas commise. Quelqu’un les recevait à sa place ou bien était-ce lui qui se trompait dans l’adresse ? Il préféra s’allonger dans ce lit aussi inconfortable que du béton et fermer les yeux pour essayer de s’évader quelques minutes plutôt que de se poser des questions dont il n’aura sûrement pas les réponses. Néanmoins, impossible de dormir en pleine journée. Les autres gars faisaient bien trop de bruit pour pouvoir somnoler un peu. À se disputer, à taper dans les portes, crier contre les matons, ou au contraire, les matons qui ripostent et usent de leur violence. Bruno avait l’apparence d’un homme calme, introverti et pacifiste. Toute cette médiocrité lui était intolérable. Finalement, il finit par s’assoupir. Mais il réouvrit presque aussitôt les yeux quand il entendit du bruit derrière sa porte. Une enveloppe vint d’être jetée par le judas. Il cru tout d’abord à une mauvaise blague. Ses ex-codétenus suivaient les malheurs de Bruno avant qu’il soit mis en cellule individuelle par manque de place donc il s’agissait sûrement de l’un d’eux. Puis peut-être à une erreur. Il regarda entre les barreaux du judas et aperçut le distributeur de courrier tirer le charriot plein de lettres. Habituellement il se serait demandé de quels mots ces lettres étaient faites. Cette fois ce rôle revenait à ses autres camarades délinquants qui eux attendaient leurs réponses. Ce charriot qu’il voyait passer chaque matin se demandant quand est-ce que lui, aurait une lettre qui lui est destinée. L’enveloppe dans les mains, il fronça les sourcils d’un air incompréhensif et son cœur battait la chamade. Ce dernier n’osa pas croire que cette lettre lui était adressée. Lui qui avait attendu longuement un retour. Pourtant il fut bien inscrit le nom de Bruno Henry au dos de l’enveloppe. Mais aucun expéditeur. Il eut tout de même un courant d’espoir qui lui parcouru le corps. Il voulut crier de joie, mais se contenta d’un simple sourire. Doucement, il déballa le papier de son étui, pour ne pas précipiter l’instant. Il le sentait, c’était elle, c’était Louise. Qu’avait-elle répondu ? Ressentirait-il de l’orgueil, du pardon, de l’apaisement à travers les mots de sa fille ? Le suspens était intense. Après un long souffle, il se mit à lire.



Le 20 janvier 1996

À Paris


Cher Bruno,


À l’heure où tu reçois ça, une semaine seulement te restera avant ta sortie. Je souhaiterais te donner rendez-vous sur la place du petit restaurant le 2 février à 18h. J’ai à te parler.

Signé : Catherine.



Catherine était la mère de Louise. Bruno tomba de haut. Il fut même un peu sonné. Sa fille ne lui avait toujours pas répondu. Et pourquoi ce rendez-vous ? Malgré sa déception, il pensa « Une si grande feuille pour trois phrases, quel gâchis. »

- Ta fille t’a écrit ?

Il avait sûrement pensé à voix haute. Cette voix venait de la cellule d’à côté, un type avec qui il dînait parfois à la cantine. D’une faible voix il répondit :

- Toujours pas, non…

- Alors elle venait de qui, cette lettre ?

- De mon ex-femme.

- Elle veut reconquérir ton petit cœur brisé ? Disait-il d’un ton ironique.

- Ce n’est pas drôle, Jean.

- Tu sais, à force de ne plus rire tu vas finir crispé du visage. Comme si tu faisais tous les jours du botox mais à la place du produit c’est de la souffrance que tu t’injectes.

- J’ai encore toute ma vie pour être heureux. Et puis, ici ça ne regorge pas d’ondes positives.

- C’est en partie à cause de toi.

- De moi ?

- De toi, enfin des gens déprimés qui tirent une tronche de trois mètres de long tous les jours. Quand tu marches on dirait que tes cernes veulent rejoindre tes pieds. Faut que tu dormes hein ! Puis y parait que c’est bon pour la santé. Ca fait grandir. Et la seule fois où je t’ai vu sourire, c’était le jour où Marc faisait ses affaires pour partir. Ça fait un bail et c’était l’unique fois, tu te rends comptes ? Enfin moi…

- Oui, je sais. Toi tu profites du temps qu’il te reste, même ici tu arrives à garder le sourire.

Il connaissait la rengaine. Bruno avait droit à cette leçon de moral au moins une fois par semaine. Ou bien deux, s’il avait de la chance.

- Et tu ne me demandes pas comment je fais ?

Bruno leva les yeux au ciel. Même avec un mur qui les séparait, Jean était toujours aussi bavard. Sur un air agacé, il répondit :

- Comment fais-tu, ô mon seigneur pour être aussi heureux même dans un endroit qui pue la déprime ?

- C’est une bonne question que tu me poses là ! Eh bien… en fait je me suis peut-être juste imprégné de l’odeur. Ça fait longtemps que je vis ici alors je ne sais plus ce qu’est la vie extérieure. Surtout que je vais finir mes jours ici ! Alors ça serait dommage de mourir triste, tu ne crois pas ? Bon, moi je vais dormir un peu pour être en forme pour ma mort !

Jean finissait son monologue en un rire étouffé par le bruit du couinement de son lit. Rire de cela avait le don d’agacer Bruno, mais en même temps, il était plutôt admirateur. Mis à part les quelques cafards qui se baladaient entre les cellules, ce vieil homme n’avait plus rien ni personne. Et en fin de compte, il avait raison. S’endormir pour la dernière fois avec un visage triste était encore plus déprimant que la vie en elle-même. Mais à quoi est-ce que ça sert si personne n’est là pour voir nos derniers sourires ?

- De toute façon, je ne suis pas encore mort et ma sortie est dans quelques jours, se rassurait-il.



31 janvier 1996, jour de la sortie


C’était aujourd’hui. Enfin il allait retrouver les rues, les voitures, les nuages grisés par la pollution. Les pigeons galeux et les chats errants. Mais il avait hâte. Louise sera-t-elle derrière la porte de la liberté ? Tout revenait toujours à elle. Bruno en était conscient, si elle n’était plus là, il n’avait plus personne. Plus de force non plus. Bien que c’était un homme doté d’un grand courage. Seulement, il faut savoir où le puiser.

Après avoir terminé de regrouper toutes ses affaires, après avoir ôté ses habits de prisonnier, et après s’être dit qu’enfin, il n’aurait plus de leçon de vie de la part de Jean, il avait franchi le pas de la porte qui séparait deux mondes très différents mais presque aussi désolants l’un que l’autre. Et visiblement, il n’avait toujours pas retrouvé sa fille. Il marcha lourdement en faisant trembler tout son être à chaque pas. Bizarrement, alors qu’il attendait ce jour depuis trois ans, il était triste. L’ambition qu’il avait de trouver pourquoi la rancune de sa fille envers lui, n’était pas atteinte. Avançant vers sa maison, il était un homme seul avec comme unique alliée, sa mélancolie. Ses questions auxquelles il n’avait pas de réponse étaient malheureusement aussi présentes.

Bruno poussa son portillon, et marcha sur sa pelouse qui autrefois était verte claire et sentait l’herbe fraichement coupée. Il ne fit même pas l’effort d’enjamber ses fleurs.

Difficilement, il tourna la clé dans la serrure et ouvrit la porte d’entrée. Il avança doucement dans sa maison en observant chaque recoin comme s’il découvrait son intérieur. Il réalisa réellement qu’il était enfin chez lui lorsqu’il put ouvrir les placards et trouver un tas de friandises. Des bonbons, des barres de céréales, du chocolat. Ce à quoi il a ensuite pensé que sa fille avait dû séjourner quelques temps chez lui. Il voulut prendre un biscuit mais la date de péremption l’avait piégé.

La fin de journée n’avait pas été plus gaie que cela. Il alla se coucher dans son grand lit douillet, ce qui changeait grandement de son lit atrocement inconfortable de la prison.

Cependant, à cause de la déprime qui le rongeait, il n’arrivait pas à se satisfaire de ces « nouvelles » sensations.



2 février 1996, jour du rendez-vous



Elle lui avait donné rendez-vous ici. Étrange, elle savait bien qu’il avait horreur de ce genre d'endroit. Le monde, les cris, les rires… Ça lui donnait la chair de poule. Bruno préférait rester loin des autres, dans son coin. Pourtant, aujourd'hui, il avait décidé de lui faire plaisir. C'est ainsi qu’il se retrouvait dans un petit restaurant peu fréquenté, le moins cher du coin, sûrement, debout au milieu de ces tables pleines, cherchant son ex-femme du regard. Enfin, il l'aperçut au loin, le nez dans le menu mais les yeux dans le vide. Elle avait bien changé, depuis le temps. Il se pointa devant elle. Catherine baissa lentement sa carte, et, d'une voix tremblante, elle lui chuchota :

- Assieds-toi. J'ai à te parler.

C’était exactement ce qu’elle avait dit dans sa lettre, ce qui fit tout de suite écho à Bruno. Surpris, il s’exécuta. Il avait très envie de demander des nouvelles de Louise mais Catherine avait l’air d’avoir quelque chose d’important à dire. Il poserait des questions après. Mais elle avait du mal à se lancer.

- Fais moi confiance, tu peux parler en sécurité avec moi, l’encourageait Bruno.

- Ça n’a rien à voir avec la confiance.

Bruno fronça les sourcils, il n’avait aucune idée de ce qui empêchait Catherine de parler. Après quelques minutes de silence, elle fouillait dans son sac à main pour y sortir une feuille légèrement froissée, pliée en trois. Elle la tendit à Bruno. Il prit le papier et l’étendit minutieusement face à lui.




Le 11 janvier 1996

À Paris


Monsieur Henry,


C’est maintenant la quatorzième lettre que l’on reçoit de votre part. On en a déjà parlé, votre fille a quitté notre service il y a presque trois ans. Merci de ne plus envoyer de courrier à cette adresse.

Signé : La clinique de Paris.


Après avoir fini de lire, Bruno baissa la feuille pour regarder Catherine.

- J’ignorais qu’elle n’y était plus, je pensais qu’elle s’y plaisait. C’était donc pour cela qu’elle ne répondait pas à mes lettres ! Bruno fut instantanément soulagé, il s’apprêtait enfin à demander comment elle allait, mais Catherine prit la parole avant : - J’ai reçu cette lettre de chez moi. C’était la seule adresse qu’ils avaient. Et toi, tu envoyais tes lettres à cette adresse-là, tu insistais et… je pense qu’ils en ont eu marre de se répéter alors ils ne t’ont répondu que cette fois-ci. Ils m’ont appelé de nombreuses fois pour me demander que ça cesse. Sauf que j’avais peur. Je ne voulais pas te le rappeler. Je me disais que tout serait beaucoup plus simple si tu restais comme ça…

- Mais enfin ce n’est pas grave, elle va simplement se diriger vers autre chose. Dans ce cas, pourquoi ne m’a-t-elle jamais répondu ?

- Elle ne t’en a jamais voulu en tout cas, murmurait-elle, tête basse.

Les yeux plein de larmes, elle regardait Bruno avant de lui dire :

- Elle est morte… assassinée.

Les émotions furent si intenses pour Bruno, qu’il ne put dire un mot. À la place, il bascula de sa chaise et se retrouva au sol. Sa tête lui tourna. Il se sentit partir. Il distingua des visages inconnus penchés au-dessus de sa tête. Bruno eut du mal à garder les yeux ouverts. Quelques minutes plus tard, il entendit la sirène des pompiers et les gyrophares l’aveuglaient. Il resta à présent inconscient.


Bruno se réveilla quelques heures plus tard, branché dans un lit d’hôpital. Sur l’instant, il ne comprenait pas où il était. Puis le restaurant, puis l’annonce, puis les pompiers revinrent à son esprit. Il fut habillé uniquement de la blouse bleue jetable. Mais sans se soucier de ça, il se redressa brusquement, et sous le coup de la panique, arracha ses perfusions. Il sortit de son lit aussi vite qu’il y fut entré. Les blouses blanches coururent à présent derrière un homme cul-nu et presque hystérique. Une fois hors de l’hôpital, les infirmières avaient cessé de le poursuivre, et sa blouse qui l’habillait l’avait également lâché. Il marcha tout de même d’un pas décidé jusqu’à son domicile. Il n’eut qu’une chose en tête : trouver qui était l’assassin de sa fille, et la venger. Il fut hors de lui. Méconnaissable. Au milieu de son salon, il devint vert de rage, même pire encore. On aurait cru qu’il allait se transformer en Hulk. Il voulut tout casser. Il eut une meilleure idée : appeler Catherine. Elle en savait forcément plus. Il composa son numéro. Le téléphone de Catherine n’eut même pas le temps de sonner qu’elle avait déjà décroché.

- Bruno ? Tu es sorti de l’hôpital ?

La colère monta de plus en plus. Il devenait complètement enragé. Catherine ne pouvait pas dire un seul mot tant Bruno s’acharnait sur le téléphone. Il demanda qui était la personne qui avait tué Louise. Mais elle ne put pas répondre. Le portable de Bruno n’était même pas à son oreille, il était au niveau de sa bouche. Il disait qu’il le tuerait, que sa fille était bien trop jeune. Et il hurla un tas d’autres choses affreuses. Bien qu’elle put comprendre sa réaction, Catherine eut du mal à croire que ce soit son ex-mari au téléphone. Entre-temps, elle avait raccroché sans qu’il ne l’ait remarqué. Il fut trop occupé à voir rouge. Catherine habitait à seulement quelques mètres de la maison de Bruno. Elle fut si inquiète qu’elle voulut essayer de le calmer de vive voix. Avant de toquer chez lui, elle arrivait à distinguer ses cris depuis son portillon. Il n’entendit même pas les « toc toc toc » de Catherine, pourtant on put ressentir son inquiétude de derrière la porte. Lorsqu’elle sonna, il se pensait toujours au téléphone avec elle. Il insultait et menaçait de mort une personne dont il ne connaissait même pas le visage. Quand il en eut marre de la sonnette persistante, il ouvrit enfin la porte. Il ignora complètement son ex-femme, il fut complètement ailleurs. Dans un monde noir, où plus rien n’existait. Néanmoins, Catherine avait bien remarqué qu’il n’était pas habillé. Elle ne voulut pas poser de questions pour le moment. À peine franchi le pas de la porte qu’elle ressenti toute la violence que Bruno dégageait rien qu’avec des mots. Il était rentré chez lui il y a peu, mais les murs furent déjà imbibés de sa sueur. Et Catherine, lui parlant doucement, essaya d’apaiser les tensions :

- Bruno, assieds-toi, on va parler calmement…

Mais il refusa d’entendre. Il devenait une bête noire prête à sortir les crocs.

Voyant que ses mots ne le calmèrent pas, Catherine s’approcha de lui pour l’emmener jusqu’au canapé. Mais au contact de ses mains sur les épaules de Bruno, il se retourna violemment vers elle, empoignant un couteau de cuisine qu’il eut à portée de main. Terrorisée, elle recula doucement, les yeux plein de peur et d’angoisse. En rythme avec ses pas, il avança vers elle, cette fois sans un son, la menaçant avec le couteau. En discrétion, elle saisit son téléphone de la poche arrière de son jeans, et sans presque regarder l’écran, composa le numéro de la police alors que Bruno s’approcha dangereusement d’elle, la pointe du couteau vers Catherine. Ils entendirent tout deux le « police, j’écoute ? » provenant du téléphone. Bruno comprit donc de quoi il s’agit. Elle se dit que de toute façon, à part sa vie, elle n’avait rien n’a perdre. Donc foutu pour foutu, sans quitter Bruno du regard, elle prit tout son courage pour crier l’adresse de son agresseur afin que les policiers arrivent au plus vite. Le temps qu’ils débarquent, je serais déjà morte, pensa-t-elle. Alors du plus vite qu’elle put, elle se retourna pour sortir de chez lui, la porte se trouvant derrière elle. Elle voulut prendre ses jambes à son coup, mais Bruno lui attrapa sauvagement le bras.

- Reste là, je t’en prie, reste avec moi. Ne me laisse pas seul, suppliait-il.

Catherine était effrayée. Dans son regard, on pouvait apercevoir le reflet de la lame du couteau qui arrivait grièvement en sa direction. Et lors d’un mauvais mouvement, il lui entailla l’épaule, ce qui la fit saigner instantanément. Ce geste choqua l’agresseur lui-même, alors il lâcha le bras de son otage.

- Bruno, qu’est-ce qu’il t’arrive… ? Lui dit-elle d’une voix tremblante, regardant le sang couler. Il l’a regarda d’un visage décrivant mille émotions de toutes les couleurs. De la peur, de la tristesse, du dégout, du soulagement.

Au même moment, les voitures de police apparurent devant le portail de la maison. Bruno sut qu’il ne pouvait plus rien faire. Il ne pouvait pas échapper à la police. Catherine, les voyant arriver, couru vers eux.

- C’est moi qui vous ai appelé, mais s’il vous plaît, faites doucement. C’est un homme fragile, le protégea-t-elle, bien qu’elle fut en sanglots. L’agent, voyant le bras ensanglanté de la femme, lui dit :

- Que se passe-t-il ?

- Rien, une simple coupure…

À ce moment-là, Bruno sortit de sa maison, le couteau à la main, et toujours dévêtu. Le policier le regarde, comprenant qu’il est le fautif, et dit :

- On va l’habiller et s’en occuper comme il se doit, madame. En attendant, allez voir mon collègue, qu’il vous soigne. Ce dernier s’approcha de Bruno.

- Posez ce couteau et mettez vos mains en évidence.

Bruno refusa de s’exécuter et rentra chez lui en voulant claquer la porte au nez de la police, mais celui-ci entra avant, bloquant la porte. L’agent lui attrapa les bras afin de le neutraliser. Il jeta enfin son couteau au sol. Le policier le tint, son buste étant écrasé contre la table à manger. Bruno hurla de le lâcher et se débattit du mieux qu’il put. Mais la police vint en renforts. Dans son dos, ils attachèrent les menottes aux poignets de Bruno. Il cria :

- Elle est morte, ma fille est morte !

Des larmes coulèrent sur ses joues rouges de rage, se débattant toujours. Mais la police ne l’écoutait pas. Bruno fut emmené dans une voiture policière, sous les yeux larmoyants de Catherine, qui se faisait soigner par l’infirmier. Une fois Bruno installé, ils prirent un drap pour le recouvrir. Ils partirent aussitôt. Il se faisait tard, les phares de la voiture aveuglaient la femme blessée, se demandant ce qui allait arriver à son ex-mari.


Bruno fut directement conduit vers la prison où il avait été incarcéré durant trois années. Il s’était enfin calmé. Et à cause des vêtements de prisonnier, ils retrouvait l’allure qu’il haïssait. Les gardiens l’entraînèrent devant les cellules pour aller jusqu’à la sienne, les menottes toujours attachées derrière son dos. Il avançait tête basse. Bruno fut installé dans une cellule près de son ancienne, devant celle de Jean. Ce dernier le regarda, les yeux écarquillés, n’en croyant pas ses yeux de le retrouver ici. Bruno s’assit sur son lit après que les gardiens furent partis. Jean en profita alors pour lui dire :

- Mais qu’est-ce que tu fais là, t’es parti y a si peu de temps et te revoilà ? Il avait une migraine. Il pensait que son crâne allait exploser à tout moment. Il avait mal à la gorge, aussi. Et la culpabilité intense le rongeait de l’intérieur. Il se rendait compte qu’il était de nouveau ici. Il était finalement sur Terre pour s’ennuyer et souffrir jusqu’à la fin de ces jours. À quoi est-ce que ça sert de vivre si nous n’avons rien pour nous raccrocher ? Aujourd’hui il était là car il survivait involontairement. Mais sa vie n’avait plus aucun sens. Vivre ou être en enfer, c’était sûrement pareil, pensait-il. Il s’était finalement rendu à l’évidence. Il ne pouvait plus vivre dans le déni. Ce n’était qu’un accident, mais c’était la réalité. Alors, il murmura d’une voix cassée et épuisée : - Je suis l’assassin de ma fille.



FIN

 

J'ai beaucoup aimé cette histoire pour le dénouement, qui est l'élément clé d'une nouvelle, ainsi que le personnage principal, très approfondit, que l'on voit tomber dans la folie au fil des "pages". Le passage imposé était respecté et bien placé de manière à ce que cela coule parfaitement dans notre lecture.


Donc un grand BRAVO à la gagnante !


Retrouvez les autres textes sur mon blog !


C'est ainsi que je clôture ce concours d'écriture.

Encore MERCI à tous.tes les participant.e.s et sans doute à une prochaine !


Enabla ;)

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