"LES FANTÔMES DE LA FÔRET", par Romain.
Le deuxième sur le podium... Voici sans plus tarder le texte de Romain. Mais avant, celui-ci m'a envoyé un texte qu'il souhaitait placer en guise d'introduction :
"Bonjour a vous ! Je m'appelle Romain et vous vous âpretez a lire ma nouvelle. Tout d'abord, ça me fait très plaisir. Ensuite, je tenais vous le dire : Mon histoire est... Disons originale. Je pense qur certains d'entre vous vont adorer comme d'autre ne vont pas aimer du tout, car c'est un style spécial. Dans tous les cas, je souhaitais vous partager quelques musiques que j'ai écouté durant l'écriture :
https://m.youtube.com/watch?v=kFzViYkZAz4
https://m.youtube.com/watch?v=veQD17hWFeM&list=PL7gTTP0wnlZ_beNK7sHWxOCV7KEvRGN7C&index=1
https://m.youtube.com/watch?v=-TdYVWzeDtU&list=PL7gTTP0wnlZ_beNK7sHWxOCV7KEvRGN7C&index=7
Voilà, c'est tout pour moi... Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter un agréable moment avec les Fantômes de la Forêt..."
LES FANTÔMES DE LA FORÊT
Les premiers amours ne s'effacent jamais.
Jean-François Collin d'Harleville
*
C’est à cause de cette vielle légende que j’ai eu une peur bleue de ce petit bois. On raconte qu’un soir de printemps, deux amants que la vie avait maintes fois tenté de séparer, seraient venus se réfugier dans cette forêt pour échapper à la violence du monde. Ils auraient chacun versé une larme dans une petite fiole de diamant qu’ils auraient jeté à l’eau, avant de se pendre. C’est un chasseur qui vint annoncer la nouvelle au petit matin : Deux âmes en peine avaient trouvé la paix.
Mais, selon le mythe, une part d’eux aurait survécu à la mort en personne. Par les nuits de pleine lune, quiconque se promènerait près du vieux chêne de la forêt pourrait apercevoir deux silhouettes fantomatiques qui marchent main dans la main, avant de disparaître dans la brume lorsqu’arrive l’aube…
Bien que ce conte était complètement absurde, il m’a empêché d’aller jouer avec les autres enfants du groupe dans la pinède pendant une bonne partie de mon enfance. Nous vivions dans un petit village de campagne, et tout le monde se connaissait, c’est pourquoi nous autres les enfants avions formé une sorte de bande. Durant les jours chauds, nous partions explorer les ruines, se baigner dans les lacs, s’empiffrer de framboise… Rien ne me faisait peur, ni les kilomètres de marche, ni les bêtes sauvages ! Enfin… Rien, à part cette forêt.
C’était complémentent irrationnel : qui irait croire ces vielles histoires de bonne femmes ?
Et pourtant, chacun de mes cauchemars se déroulait là-bas...
Un jour, les membres de notre joyeuse troupe avaient décidé d’y aller, malgré mon avis. J’avais fait le fier devant eux, en clamant que je pouvais m’y rendre sans aucun problème.
La veille de l’exploration, j’avais d’horribles maux de ventre, la tête qui tournait et des nausées... J’étais tellement anxieux à l’idée d’y poser un pied que mon corps entier dysfonctionnait ! Évidemment, une fois face à la fôret en question le lendemain, je me suis dégonflé.
Je me rappelle encore ce que je ressentais quand tout les autres enfants se sont moqués de moi… J’étais bien sûr humilié et vexé, mais surtout en colère contre moi même. Je me maudissais de ne pas pouvoir surpasser ma peur, et j’étais persuadé que c’était ma faute si les autres riaient de moi, que si j’avais été plus courageux, rien de tout cela ne serait arrivé.
Et puis, alors que tout le monde me raillait, Lara m’a défendu.
Lara était l’unique fille de la bande. On l’a énormément charrié à ce sujet, sans que je n'ai fait quoi que ce soit pour l’aider. En fait, j’avoue que je n’avais pas vraiment fait attention à elle auparavant, vu qu’elle était d’un naturel timide et réservé. C’est d’ailleurs pourquoi je fus surpris qu’elle prenne ma défense en se mettant à dos tous les autres, mais qu’en plus elle me tienne compagnie pendant que tout le groupe se rendait dans la pinède.
Les premières minutes, nous n’échangeâmes pas un mot. Nous étions assis tous les deux, à l’ombre d'un vieux tas de paille que quelqu'un avait abandonné en plein milieu du champs qui bordait le bois. Le silence était partit pour s'éterniser. Puis...
— Moi, je trouve ça romantique.
Mon cœur fit brusquement un bond dans ma poitrine !
— Par… Pardon ?
— La légende, précisa-t-elle. Je ne comprend pas pourquoi tu en as peur. Au contraire, je trouve ça mignon que deux personnes s’aiment tellement qu’ils préfèrent mourir que vivre l’un sans l’autre.
— Je… Euh…
Mon regard plongea dans ses yeux vert émeraude. Ma vision du sujet venait de changer du tout au tout rien que par cette phrase. Confus, je balbutiais :
— Je… Je n’avais jamais pensé… C’est… C’est vrai...
Aucun ne nous deux n’ajouta un mot jusqu’au retour des autres enfants.
C’est ce jour là que ma vie à commencer à changer.
Les mois s’écoulèrent sans que je les virent passés.
L’épisode de la foret était passé, et je m’étais réconcilié avec le reste des enfants ; a cette âge-là, les disputes durent rarement longtemps.
Bien que nous ayons continué de suivre la bande, Lara et moi nous voyions de plus en plus souvent seul à seul. Curieusement, c’était lors de ces moments d’intimités que je me sentais…
Comment dire ? Bien... Serein… Que je pouvais être moi même, sans faire le brave !
Avec le temps, les visages de la plupart d’entre eux se sont envolés. Il ne reste d’eux que de flou bribes de souvenirs.
Oui, c’est confus. Mais nécessaire pour que vous compreniez mon histoire.
Celle-ci eu lieu un jour particulier : lors de mon neuvième anniversaire. Pour l'occasion, j'avais envie de faire quelque chose de spécial, d'excitant, une vraie aventure. Une idée me trottait déjà dans la tête depuis plusieurs semaines. Une idée qui m'aurait horrifié auparavant, mais qui, grâce à Lara, me semblait de plus en plus attirante.
Une visite de la forêt. Dépasser mes craintes, vivre un moment fort, histoire de marquer l’occasion et d’en finir une bonne fois pour toute avec cet endroit.
Mais d'un autre côté... Il me hantait depuis toujours. Toutes les fois ou j'avais tenté de m'y rendre, j’étais pris de violentes crises de maladies et de rêves atroces. Alors... est ce que ça valait le coup d’essayer ?
Cette pensée mûri longuement, jusqu'à ce que finalement je prenne mon courage à deux mains et je décide d'en finir avec ce lieu qui était devenu une obsession.
Et je ne l'ai pas regretté.
Cette après-midi fut magique, ça, peut importe si ça remonte à loin, je m’en souviens très bien !
En dehors du récit de fantômes, la forêt n’avait rien de différent de celles qui nous explorions d’habitude ! Dans mes cauchemars, elle était toujours jonchée de squelettes, remplie d’arbres morts qui étendent leurs branchues nues sur les sentiers comme des mains maléfiques cherchant à s’emparer des visiteurs, et il y faisait un froid glacial et une nuit noire. En réalité, c’était un lieu assez charmant, où l’air est pur, et le paysage magnifique !
À vrai dire, rien n’aurait pu laisser paraître qu’une légende macabre entourait ce lieu. Je me suis sentit libéré d’un poids immense, mon corps devenu léger virevoltait sur les feuilles mortes !
Après une première visite seul avec Lara, les autres gamins débarquèrent. Si, ça y est, ça me revient ! L’un d’entre eux, un rouquin du nom d’Elian, s’entendait bien avec Lara. Il faisait partit des amis avec qui j’ai vécu cette journée géniale.
Et nous avons jouer à l’endroit même qui m’avait hanté depuis des années, pendant des heures qui me parurent durer un instant.
Quand nous sortîmes, le soleil était en train de se coucher, mais il faisait encore bien jour et chaud ce qui donnait une ambiance très agréable. Nous marchions sur le petit chemin qui reliait le village au bois, bordé par le champs. Alors que je pensais la journée terminée, Lara me pris à part :
— Tu peux venir deux minutes avec moi ? J’ai… J’ai quelque chose à te donner. Une sorte de cadeau d’anniversaire.
Elle désigna le piteux tas de foin où nous avions fait connaissance.
Nous nous sommes écarté du groupe et avons enjambé la clôture en bois. Le temps semblait s’être suspendu, le chant des oiseaux s’être interromput, les fleurs s’être mises à scintiller.
— On… On y est, dit-elle sur un ton hésitant en cachant son visage derrière ces mains.
La scène semblait surréaliste, semblable à un rêve, destinée à s’effacer d’un instant à l’autre.
Lara plongea sa main dans la poche de sa robe blanche.
— Tiens, c’est pour toi, susurra-t-elle tout bas.
C’était un petit médaillon en cercle, accompagné d’une chaînette. On aurait dit qu’il était recouvert d’une fine couche d’or. Lentement, je le pris dans le creux de ma main, et je soulevai le petit couvercle pour doré.
A l’intérieur, il y avait un petit dessin, fait à l’encre noire sur du vieux papier jaunis. Un cœur. Les contours étaient mal faits, l’encre bavait, il n’était pas bien centré sur la feuille…
Mais c’était bien un cœur.
J’ai immédiatement relevé la tête.
Lara baissait les yeux, en passant une main dans ses cheveux blondq.
Soudain, j’ai sentit une immense chaleur monter en moi, qui remontait de mes entrailles par ma gorge, et allait sortir dans un tonnerre d’émotion…
Mais rien de tout ça n’eut lieu.
Sans un mot, je lui ai pris la main.
Nos regards se croisèrent.
J’avais l’impression que des centaines de papillons fourmillaient dans mon ventre.
Rien n’existait en dehors de nous deux.
Les oiseaux avaient cessé de chanter.
Les nuages ne défilaient plus dans le ciel doré.
Les feuilles des arbres ne virevoltaient plus.
Le temps… C’était arrêté.
Le médaillon glissa lentement de ma main et tomba sans un bruit par terre.
Et nous avons échangé un baiser.
Puis, une immense détonation retentit.
On aurait dit le bruit de la foudre, mais en mille fois plus fort. Et la terre gronda, gronda tellement fort que j’avais l’impression que le sol allait s’effondrer sous mes pieds !
Toute la magie du moment s’envola en même temps qu’une nuée d’oiseaux que le choc avait terrifié. Le temps venait de redémarrer. Le monde tournait de nouveau.
— Qu’est ce que c’était ? S’exclama Lara, un tremblement dans la voix.
— Je… Je ne sais pas !
Nos regards se croisèrent de nouveau, mais cette fois-ci, je pus y lire de l’angoisse.
Elle tourna la tête vers la silhouette du village, à l’horizon, et son teint palis soudainement. Je compris que quelque chose n’allait pas.
— Il… Il faut rentrer, bégaya-t-elle. Maintenant.
Et en tournant ma tête à mon tour, je pus apercevoir une colonne de fumée s’élever au loin.
Sans surprise, mon amie se mit à courir vers le sentier qui ramenait au village.
— Attends-moi !
Je saisi le médaillon à mes pieds avant de la rejoindre au pas de course.
Le soleil avait disparu quand nous sommes arrivés.
Pourtant, ce n’était pas la lumière qui manquait.
Face à nous se dessinait un immense brasier, qui étendait son emprise sur une dizaine de maisons. Ces flammes s’élevaient au ciel comme pour prouver que rien ne pouvait leur résister, pas même la lune. Il dégageait une chaleur qui me faisait tourner la tête…
A moins que ce ne soit à cause des hurlements qui retentissaient de partout ? Ou de l’odeur métallique du sang qui emplissait mes narines ? Ou la vision d’horreur que je contemplais du haut de mes neuf ans ? Ou peut-être était-ce un mélange de toutes ces choses… ?
« Fuis. »
Mais j’étais paralysé par le choc. Je sentais mes entrailles se liquéfier au creux de mon ventre, je sentais le poids de mon corps sur mes jambes aussi fragiles que le coton, je sentais mon sang bouillir dans mes veines.
« Allez, pars. Vas-y. »
Comment aurai-je pu ? Comment, alors que j’avais l’impression que le monde s’effondrerait si je faisais le moindre geste, et que les flammes se jetteraient sur moi si je les quittaient du regard ?
« Maintenant. Sauve-toi, s’il te plaît. »
A quoi bon ?
« Ce sera bientôt trop tard. Regarde, écoute. »
La vitesse de propagation des flammes était abasourdissante, tout ce qu’elle touchait se transformait immédiatement en torche.
Et je pouvais entendre de nouvelles explosions qui venaient du village, indiquant que l’incendie n’était pas prés de laisser s’échapper un seul d’entre nous.
Alors à quoi bon ?
« Si tu ne le fait pas pour sauver ta vie, alors fait le pour sauver la sienne. »
La sienne… ?
J’ai alors regardé Lara. Elle semblait pétrifié, son regard vide fixant ce monstrueux spectacle.
Puis j’eus soudain un déclic : Si elle restait ici, elle était condamnée !
Elle, qui sous son allure timide et renfermée, cachait la plus ravissante des femmes de ce monde ! Non ! Je devais la sauver !
— Lara ! On ne peut pas rester ici, c’est trop dangereux ! Viens avec moi !
Ses yeux vides se réanimèrent soudainement, et elle sembla reprendre ces esprits.
— Oui… Tu as raison…
Je lui prit la main, prêt à y aller... !
Mais…
— Attend ! Souffla-t-elle, si bas que je faillis ne pas l’entendre.
— Qu’est ce qu’il y a ?
— Les autres enfants… On… On ne peut pas les abandonner !
« Dépêche-toi. S’il te plaît. »
— Non ! On n’a plus le temps !
— Mais… On ne peut pas les laisser mourir !
« Je t’en supplie. »
— Lara…
« Maintenant. »
Je lisais un désespoir immense sur son visage.
Elle était tiraillée par le poids de la décision.
— Je... Balbutia-t-elle. Je... Je suis désolée.
« Maintenant !»
Lara y était retourné. Elle avait eu le courage d'aller au devant d'un danger certain par altruisme, pour essayer d 'aider ceux qui pouvaient l'être. Moi, tel un lâche, tel le dernier des égoïstes, j'étais resté planté là, sans faire un geste, à contempler le spectacle des flammes.
Non, ça n'était pas possible. Je n'avais pas le droit de l'abandonner. Elle... Elle courait à sa mort ! Je... Je devais tenter quelque chose, n'importe quoi ! Du moment qu'elle survivait ! Il fallait j'aille la chercher, il fallait que je la retrouve !
Je... Je peux comprendre que cela paraisse fou.
Je ne saurais pas expliquer cette décision. Je sentais le besoin d'aller la retrouver, que c'était la chose la plus importante à faire, que ça passait avant tout le reste...
Que sont devenus mes parents ce jour-là ? Je n'en ai pas la moindre idée. Car, tout simplement, tout le reste ne comptait pas. Rien d'autre n'avait d'importance.
Je déambulais dans les rues, ces rues que j'avais parcouru milles fois, mais qui me semblaient totalement inconnues. C'était un chaos indescriptible. Des dizaines de d'hommes, de femmes, d'enfants affluaient, écrasant les cadavres des plus malchanceux. Le vacarme assourdissant de leur cris était si fort qu'il couvrait le son des nouvelles explosions, le bruit des bâtiments qui s’effondraient, les hurlements de douleur... Mais cela m'importait peu.
Oui, c'étaient mes voisins qui étaient allongés dans leur propre sang à mes pieds. Oui, c'étaient certains des enfants de la bande qui criaient de tous leurs poumons dans les rues de mon village en feu.
Mais ça, je m'en foutais. J'étais obnubilé par un seul nom, une seul personne, qui était cachée parmi la foule.
Est ce que j'avais peur ? Non.
A ce stade, toutes mes émotions avaient disparu. Ma tête était vide de toute pensées. J'étais une machine, qui avançait sans se soucier d'autre chose que de son objectif... Que je finis par trouver.
Elle était à côté de la fontaine, ou de ce qui en restait. Elle appelait des survivants, mais à part elle et quelques cadavres, la place était déserte.
Je me suis avancé vers elle, sentant des larmes me monter aux joues... Puis je l'aperçus.
Sur le toit d'un édifices encore debout se tenait un homme. Lara ne l'avait pas vu, mais lui, en revanche, avait bien repéré la jeune fille.
« Prend garde ! C'est le faiseur d'explosion. »
Le... Quoi ?
Je ne m'étais pas demandé d'où venaient les détonations qui réduisaient mon monde en cendres jusqu’à présent... Mais cet homme... C'était un étranger, aucun doute.
« Pars, immédiatement ! »
La scène sembla se dérouler au ralentit. L'homme leva le bras, tenant fermement dans sa main un petit objet que je distinguais à peine. Tout de suite j'ai su ce qu'il allait faire. J'ai hurlé son nom, et
Lara me remarqua... Ainsi que le faiseur d'explosion.
Surpris, il se figea un instant, puis fis un mouvement brusque et envoya l'objet pile au centre de la distance qui me séparait de Lara. Sans réfléchir un instant, je me suis jeté sur l'objet, pour faire barrage avec mon propre corps.
J'ai senti la déflagration me frapper de plein fouet, puis je fus projeté dans le ciel, comme soulevé par une force supérieur. Cela dura une seconde, ou peut-être mille ans.
Et j'ai sentis mon corps s'écraser contre le sol, de la même manière qu'une marionnette à qui on venait de couper les fils.
J’étais faible, très faible. Complètement terrassé par l’explosion. Si j'avais pu, je serais resté allongé ici pour l'éternité, sans un mouvement, sans un bruit. Mais il fallait que je sache.
J'ai ouvert les yeux.
Je la vis. Lara. Elle était en train de s'enfuir, me tournant le dos.
Elle était en train de s'enfuir.
Me tournant le dos.
Elle était en train de s’enfuir.
M'abandonnant à la mort.
Oui, mais voilà : je ne suis pas mort.
Pourquoi... Pourquoi ne s'est-elle pas retournée ?
Cette question me hante encore. J'étais juste derrière elle... Et elle le savait ! Alors pourquoi ne s'est elle pas retournée ? Il fallait que je la rattrape, que je lui pose la question. Mais, en tentant de me relever, j'ai sentis une immense douleur me traverser le corps.
Un coup d'œil sur mon torse m'a fait comprendre pourquoi : un trou béant, par lequel s'écoulait du sang rougeâtre, me transperçait dans une douleur atroce. Douleur qui ne dura point, qui fut complètement éclipsée au son d'une voix qui retentit au plus profond de mon crâne : « C'est finis. Tu sais ce que tu dois faire. »
Oui, je le savais. Cela sautait au yeux.
Lentement, je me mit debout. Malgré la promesse de mort qui se dessinait sur mon ventre, j'arrivais à marcher. Je boitais. Et ça faisait horriblement mal. Mais je marchais.
Je suis sorti du village en transe, je ne dirigeais plus rien.
Ce n'était pas un sentiment désagréable, au contraire ! Mon âme n’avait plus à supporter le poids de ma chaire, tout mes maux avaient cessé. Est-ce cela qu'on ressent avant de trouver la mort ?
Puis je pris soudain conscience que je me dirigeai à grand pas vers le sentier qui menait à la forêt. Je me sentais de plus en plus nauséeux, ma tête tournait et ma vue se brouillait... Sans doute des effets de ma blessure, sans doute la vie qui quittait peu à peu mon corps...
« Tiens le coup, tu es presque arrivé. »
J'étais devant le bois. Il ne m'inspirait plus aucune peur, seulement un immense calme, une paix utopique. Je me suis engouffré entre les arbres, pour me rendre là ou mon instinct me guidait.
Il se dessina devant moi un bout de quelque minutes de marche : le vieux chêne.
L'endroit ou s'étaient pendus les amants de la légende.
Mon refuge.
« Détends-toi, tu et en sécurité maintenant. »
Une sorte de brume surgit de nulle par, et se matérialisa devant moi sous la forme de deux silhouettes au contours flous, se tenant la main.
« Te voilà enfin. »
Dans le ciel, la pleine lune était d’une clarté telle que je pu très bien voir la scène.
« Fais-moi confiance. Je vais t'aider. »
Il me désigna de la main le petit ruisseau qui parcourait le décors.
« Approche. »
J'obéis, et me suis penché. Au fond de l'eau, était visible une toute petite lumière blanche, presque infime. J’eus soudain une envie folle de la saisir... Je me suis approché du bord, pour y voir mieux... Puis approché un peu plus... Encore un peu...
Brusquement, je me suis senti perdre le contrôle de mon corps et je suis tombé dans l'eau.
Elle était froide, et profonde. Malgré ça, c’était plaisant, de sentir l'eau glisser sur son corps comme le frottement d'une plume...
De ne plus sentir la gravité...
D'oublier que dehors, mon monde venait de s’effondrer...
J'étais plongé dans les ténèbres, que seul un petit point de lumière blanche déchirait. J'ai penché ma main pour essayer de l'attraper, mais il était trop bas.
Frustré, j'ai retenté à nouveau... Mais rien à faire, je n'y arrivais pas.
L'air commençais à manquer, et je sus que c'était la fin. Mais après tout... Pourquoi pas ? La vie est une épreuve sans fin, une souffrance éternelle entrecoupé de quelques rares moments de bonheur...
Alors que la mort, elle, est une délivrance...
« Tu est libre, Silvar. »
A l'évocation de mon nom, un déclic se produisit.
J'ai penché une dernière fois ma main, alors que je sentais la vie sur le point de s’effacer. Mes doigts ne firent qu’effleurer la tache de lumière... Mais cela suffit pour que celle-ci grandisse et m'absorbe entièrement, une seconde avant que je n'atteigne le bout du tunnel.
Vous devez certainement vous demander pourquoi j’écris tout ça dans cette lettre... !
Et bien… J’avais besoin de faire le point sur mon passé, pour pouvoir tourner la page. Un tournant dans ma vie se prépare. A partir de ce soir, plus rien ne sera jamais pareil.
Oui, après tant d’épreuves, je vois le bout du tunnel se dessiner…
La paix que je recherchais est sur le point de m’être offerte...
Mais avant ça, il me reste une chose à faire.
*
Vaincus sont ceux qui n’espèrent pas vaincre.
J.-J. Olmedo
*
J'ai l'impression que la vie essaie sans cesse de me mettre des bâtons dans les roues.
Pour commencer, je suis née femme dans une société ou celles-ci sont régulièrement considérées comme fragiles et incompétentes. Ensuite, je me suis très vite retrouvée prise entre les guerres que font les gens puissants et que nous, les paysans, subissons.
C'est comme ça que lorsque j'avais neuf ans, j'ai vu mon village rasé, mes amis tués, et ma famille déportée comme esclave... Mais surtout, ce jour-là, j'ai perdu l'être auquel je tenais le plus. Il s’appelait Silvar.
Suite à cela, j'ai été amenée à l'autre bout du monde, puis j'ai croupis dans une cellule pendant plusieurs mois avant qu'on me case comme balayeuse dans un petit café de banlieue à seulement dix ans. Et malgré cela, j'ai eu pas mal de chance ; j'ai eu vent un tas d'histoires d'autres captifs qui étaient bien, mais bien moins traités que moi...
Pendant presque quinze paisibles années, j'ai vécu ma petite vie de servante. En plus du ménage, je prenais de temps à autre le comptoir et j'allais faire les courses au marché pour mon maître. Et c’est en m’occupant de cette dernière activité que tout a basculé.
Alors que je me promenais à travers les rayons, on me tapota à l’épaule.
— Elian ?
Elian. Un de mes amis d’enfance. Bien que je ne l’avais pas revu depuis, la ressemblance avec ce qu’il avait été autrefois était frappante ; cette même chevelure rousse, ces mêmes yeux marrons, ce même nez court… La seul différence est qu’il n’avait plus ce même sourire au lèvre. Le temps avait peint un air sombre sur son visage, un air sur lequel on pouvait lire le poids du passé.
— Ne dit rien, souffla-t-il.
Il me glissa une petite carte en papier dans ma poche, avant de tourner les talons en murmurant :
— A bientôt, Lara.
Encore bouleversée, je sortis le petit billet qu'il m'avait laissé. Dessus, il était écrit à l'encre noire sur un fond blanc les mots suivant : «Lundi prochain, à 9h, au petit restaurant du sud. Brûle ce message.». Mon sang ne fit qu'un tour : Un rendez-vous secret ? Avec Elian ? Mais... Quand est ce que je l'avais vu pour la dernière fois ? Ah oui... C'était l’après midi qui précéda la destruction de notre village, dans la forêt hanté. Il y avait lui, notre bande, et... Silvar.
Cette simple rencontre venait de faire ressurgir un tas de souvenirs. Par exemple, ce bois m'était complètement sortit de la tête, ainsi que la légende qui allait avec... C'était quoi, d'ailleurs ? Bah... De toute façon, c'est loin, maintenant. Et pourtant j'en souffre encore...
Je me souviens de cette scène par cœur. J'étais retournée dans le village par stupidité, une stupidité profonde.
Je cherchais à impressionner Silvar. Je me disais qu'en sauvant des vies, il me verrait comme une héroïne... Il me verrait courageuse... Sauf que lui, qui est le vrai héro de cette histoire, à compris à quel point j'étais idiote, et il est venu me chercher.
Et c'est ce qui a causé sa mort.
Ce jour-là, je n'ai pas compris. Je n'ai pas compris comment ces étrangers arrivaient à créer des explosions. En grandissant, j'ai appris que la technologie de l'armement avait fait un bond et que ce jour-là, une grande nation testait sa nouvelle invention sur un petit village d'un pays voisin. Et ce test fut plus que concluant, car ces technologies nouvelles m'ont enlevé...
Elles m'ont enlevé...
Je fais encore des cauchemars de cette scène. Silvar qui se jette sur l'engin juste avant qu'il ne s'active et un fasse jaillir un torrent de flammes. Sur le coup, j'ai eu tellement peur que, sans un regard pour lui, je me suis enfuie.
Honnêtement, j'ai hésité. J'ai hésité à me retourner, à aller voir s'il allait bien, à essayer de le soigner, de lui venir en aide... Il aurait suffit que je me retourne...
Mais j'étais terrifiée à l'idée de le retrouver mort derrière moi.
Je ne me suis pas retournée.
J'ai cogité toute la nuit.
Tout était si soudain... Il y a à peine quelques heures, je ne pensais jamais revoir personne de mon ancienne vie et là j'allais au restaurant avec un l'un d'entre eux ? Et que voulais-t-il, d'abord ? Discuter du bon vieux temps ?
Non... Sinon ce n'était pas la peine de rédiger un message secret !
Bon, de toute façon, cela ne servait à rein de s'agiter. Le meilleur moyen de savoir ce qu'il voulait était encore de se rendre à son rendez-vous...
Ce que je m'étais résignée à faire.
La semaine passa lentement, puis arriva ce fameux lundi.
Après avoir dit à mon patron que j'étais malade et que je resterai au lit toute la journée, je me suis éclipsée par la fenêtre et je me suis rendue dans le petit restaurant qu'il avait choisi.
Il m'avait donné rendez-vous ici. Étrange, il sait bien que j'ai horreur de ce genre d'endroit. Le monde, les cris, les rires... Ça me donne la chair de poule. Je préfère rester loin des autres, dans mon coin. Pourtant, aujourd'hui, j'ai décidé de faire une concession. C'est ainsi que je me retrouvais dans un petit restaurant peu fréquenté, le moins cher du coin, sûrement, debout au milieu de ces tables pleines, cherchant l'homme du regard. Enfin, je l'aperçus au loin, le nez dans un bouquin mais les yeux dans le vide. Décidément, il avait bien changé, depuis le temps. Je me pointai devant lui. Il baissa lentement sa carte, et, d'une voix roque, il me chuchota :
— Assieds-toi. J'ai à te parler.
— Tu dois te poser un tas de question, murmura-t-il. On va commencer par ça.
Je me tus un instant.
— Comment… Comment as-tu survécu ? Dis-je finalement.
— J’ai été capturé dès le début des hostilités, avec les autres enfants de la bande. Nous avons
tous été envoyés dans les mines de charbon. Les adultes ont été exécutés.
Un nouveau silence pesa. Sans que je ne sache pourquoi, les larmes commençai à me monter aux yeux, et ma gorge me piquait horriblement.
— Si tu es ici, c’est que la situation à évolué, murmurai-je.
— En effet. Une révolte à ébranlé les esclaves. La haine que attisaient les années de servitude poussa nos anciens amis à des idées de révolution… Plutôt macabres.
— Et que s’est-t-il passé… ?
— Je n’étais pas du tout d’accord avec lui, alors je suis resté à l’écart. Mais quand il ont massacré nos geôliers et mis feux à leur campements, je me suis retrouvé obligé de les suivre.
Il posa ses deux mains sur la table.
— Hélas… Soupira-t-il. Ils ne se sont pas arrêtés là. Penses-tu… Il ont décidé de créer une rébellion, un groupe qui cherche à la vengeance. Depuis des mois, ils amassent des armes, en tout genres : épées, fusils, bombes… Ils prévoyaient un massacre.
C'en fut trop ; je sentis une première larme perler sur ma joue.
— J’ai essayé. Je te jure que j’ai essayé de leur dire. De leur dire que ce n’est pas en massacrant qu'on réparera un massacre. Que ce n’est pas en tuant qu’on vengera les tués. Mais… Ils n’ont rien voulu entendre ! Je te le promet ! J’ai tout essayé ! Je t’en supplie, crois moi ! IL FAUT QUE TU ME CROIES !
J'ai fondu en larme.
— Non… Lara… Ne pleure pas… Je… Je… Je ne voulais pas…
— Tais toi, crachai-je. Je ne veux pas en savoir quoi que ce soit de plus.
— Tu est sûre ? Demanda-t-il. Parce que… La suite concerne Silvar.
— Q… Quoi… ?
Toute la tristesse que je vivais se transforma brusquement en une rage intense.
— Il était là, annonça-t-il.
— Mais.. Ça n’a pas de… Il est… Enfin… Tu mens !
Il prit une longue inspiration, tout en fermant les yeux et en posant la paume des mains sur la table. Je pris alors conscience que tout le monde dans le restaurant nous regardait d’un œil mauvais, sans doute à cause des cris. J’avais envie de disparaître, de me faire aspirer par le sol et d’être oubliée de tous.
— C’était il y a un mois jour pour jour, lâcha Elian sans ouvrir les yeux. Le moral des résistants était au plus bas, quand le chef de notre groupe nous a annoncé qu’il était de retour. Il nous a dit que Silvar avait survécu à ce sombre jour de notre enfance et qu’il avait un plan pour attaquer cette ville en guise de représailles. J’ai cru qu’il bluffait, qu’il mentait pour donner un second souffle aux espoirs de ceux qui le suivaient… Mais, quand il nous présenta son plan d’attaque, je reconnus qu’il était parfait.
Tout avait été calculé dans les moindres détails pour frapper fort sur cette ville. Je ne sais pas si Silvar a vraiment quelque chose à voir dans cette histoire, mais c’est sûr que celui qui a élaboré ce plan a bénéficié d’une aide supérieur.
Je me sentais complètement écrasée par le poids de ces révélations, comme s’il venait de placer un rocher sur mes épaules. Pourquoi est-ce que tout ça ressurgissait après tout ce temps ? Ce passé était mort et enterré… Pourquoi fallait-t-il qu’il revienne me déchirer une nouvelle fois ?
— Je suis tellement désolé, dit-il, la voix brisée, en ouvrant ses yeux brouillés par des larmes.
D’ici peu… Nous serons tous mort !
Il se leva en ramassant son bouquin, essuya les gouttes d’eau qui perlaient sur ces joues, et sans m’adresser un regard, se retourna et commença à partir.
— Attend !
Il s’arrêta, toujours dos à moi.
— Pourquoi m’as-tu raconter tout cela ?
Il ne répondit pas, laissant un silence troublant s’installer. Je pouvais entendre mon cœur tambouriner sous ma poitrine, mon sang qui coulait dans mes veines, le souffle régulier de ma respiration. Autours le monde semblait s’être effacé. Les clients du restaurant, les passants dans la rue, le gazouillement des oiseaux, le vent qui s’engouffre entre les branches des arbres.
— Je…
Sa phrase resta figée dans le temps. Puis, il tourna sa tête. Et je fus prise d’un frisson lorsque je vis l’expression qu’il arborait.
Il était terrifié.
— J’avais besoin de me confier à quelqu’un qui me comprendrait ! Dit-il en affichant un faux sourire.
Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit.
Au début, parce que j’étais déboussolée à cause de tous ces aveux qui débarquaient comme si de rien n’était. Puis ensuite, lorsque j’eus ressassé le sujet une vingtaine de fois dans ma tête, alors que je sentais le sommeil me gagner, j’ai repensé à la vielle légende de mon enfance, ce vieux mythe qui terrorisait Silvar. Je n’en avais presque pas souvenir. C’était une histoire de fantômes… Et de forêt. Ou quelque choses dans le genre.
J’ai passé le reste de la nuit à essayer de me rappeler de ce conte de bonne femme… Sans succès, hélas.
Le lendemain encore, j’ai fait semblant d’être souffrante, pour profiter de la journée pour fouiller dans mes vielles affaires. C’était un carton bourré de souvenirs que les soldats m’avaient permis d’emmener. A l’intérieur, il y avait une vielle robe toute décrépie, mon herbier, un carnet de dessin, des petites figurines en bois et un coquillage. Rien qui n’évoquait la légende.
J’ai passé toute la journée à me replonger dans mon enfance. Jusqu’à ce qu’arrive le coucher du soleil.
Puis, une immense détonation retentit.
Je sortis en trombe dans la rue, ou la population était très agitée. Tout le monde courait dans tous les sens, en hurlant à s’en casser la voix. Au loin devant moi, je pouvais apercevoir une colonne de fumée qui s’élevait juste au dessus du centre de la ville. Silvar.
C’était lui. J’en avais l’intime conviction. Il était là-bas, en train de tuer des gens, alors que j’étais persuadée qu’il était mort depuis des années. Je devais le raisonner. Lui dire. Il m’écouterait, moi.
Il entendrait raison. Évidemment. Nous étions si proche… Si je lui parlais, il retrouverait la raison. Ce n’était pas un meurtrier. Je… Non. Je le sais. Il m’écouterait. Oui. Je… Je le sens. Il m’attend. Il a confiance en moi. Il sait que je vais venir. C’est pour ça qu’il est là.
J’ai sus au plus profond de moi ce que je devais faire. Chacun de mes gestes étaient comme calculés, du moment ou je me suis enfuie entre les rues pour atteindre le centre jusqu’à ma réaction quand je les ai vus.
C’était un petit groupe d’une vingtaine de personnes, tous armées de fusils. Tous des visages familiers. Tous des amis d’enfance, qui s’étaient effacés à jamais de ma vie, et qui avançaient en tirant sur des vieillards, des adultes, des gamins, en épargnant uniquement les bébés gisant au sol.
Mais ce n’étaient pas eux qui avaient fait la première explosion, ni celle qui retentissait au même moment autour de moi. Eux n’étaient que des pantins qui lui obéissait.
« La boucle doit être bouclée, Lara. Vas le retrouver. »
Le nouveau faiseur d’explosions. Le revenant. Mon ami. Mon cauchemar.
Mon amour.
Celui qui est venu me tirer de cet enfer il y A bien longtemps. Aujourd’hui, je devais lui rendre la pareille. En suivant le chemin tracé par les déflagrations, en enjambant les cadavres calcinés, en évitant les débris des bâtiments, en faisant abstraction des bruits de balles qui retentissaient derrière moi, j’ai pu retrouver l’origine des secousses.
Une petite place, éclairée par les flammes. Une odeur de poudre à canon dans l’air. Dans le ciel, le soleil couchant avait disparu pour laisser place à une nuit noire.
Soudain, une silhouette apparue dans la fumée. Elle s’avança, jusqu’à révéler un homme.
Non, pas un homme. Un dieu.
Il n’y avait pas d’autres mots pour décrire cette être qui se dressait face à moi. Un dieu. Une puissance divine, qui façonne et détruit le monde. Il semblait auréolé par une lumière nouvelle, qui déchirait la nuit. Et par-dessus tout, il était beau. Infiniment beau. Ses cheveux, d’un noir plus pur que le plus pur des noirs, coiffait un visage aux traits parfaits, mais sans pour autant cacher ses yeux bleus, d’un bleu plus pur que le plus pur des bleu, que le bleu qui peignait la mer et le ciel. Il était vêtu de vêtement de fortune, déchiré et taché. Le voir me donna l’impression d’être minuscule, de n’être rien, rien de plus qu’un vulgaire insecte, d’être le néant face à cette divinité. Mais son visage affichait un sentiment de tristesse que je ne pourrais décrire avec tous les mots.
Poser un seul regard sur cette expression de désespoir m’emplit d’une souffrance qui me déchira les entrailles. Quel malheur avait pu ternir le visage angélique de ce sauveur ?
J’aperçus alors dans sa main les bombes avec lesquels il rependait la désolation. Alors je ne vis plus un dieu, mais le diable en personne. Un démon qui marche sur les décombres des villes qu’il rase, qui fauche des âmes par centaines, qui d’une cruauté sans nom réduit tout en poussière, qui charme de sa beauté pour pour fendre de sa lame.
Est-ce un ange, descendu du ciel au crépuscule ?
Est-ce un démon, extirpé des entrailles de la terre ?
Il parcourut le lieu du regard, avant de plonger ses yeux dans ses mains. Puis il prononça une phrase, d’une voix calme et douce, une voix rassurante, une voix bienveillante.
— Te voilà enfin, Lara.
— Tu es donc vivant, Silvar.
— Comment se passe ta nouvelle vie ?
Sa voix ne trahissait aucune ironie, juste de la curiosité.
— Jusqu’à ce soir, plutôt bien.
Il mettait toujours quelques secondes à répondre, comme s’il analysait la situation, comme s’il mûrissait chacun de ces mots dans son esprit.
— Je suis heureux pour toi.
— Je… Silvar… Comment as-tu survécu ?
Une pointe d’amusement se dessina sur son visage.
— Est-ce vraiment important ? Je suis là, maintenant.
J’avais du mal à garder mon sang froid. Lui, au contraire, était calme et détendu.
— Tu penses vraiment que c’est la solution ? Dis-je froidement. Tuer pour venger ton… Notre vie d’avant ?
Il souffla du nez.
— Ce n’est en rien une vengeance, assura-t-il d’un ton confiant. Nous vivons dans un monde injuste, où il y aura toujours des privilégiés et des des défavorisés, c’est ainsi. Non, si je suis venu ici ce soir, c’est pour une raison bien plus noble.
Il jeta un coup d’œil à un cadavre à ses pieds puis ajouta :
— Même si je ne te cache pas que de détruire ces êtres minables qui m’ont tout ôté me comble de joie.
Le temps d’un instant, un rictus maléfique avait prit la place de l’expression triste sur son visage.
— Alors… Qu’es-tu venu faire ?
Il me sourit.
— Ce soir, je suis un libérateur.
Silvar fit un pas en avant.
— Tu t’en souviens ? Susurra-t-il. De cette forêt.
— Tu en avais un peur maladive.
— C’est vrai. A cause de la légende.
Encore elle. Cette fameuse… Cette foutue légende.
C’était le sujet à ne pas aborder.
— JE NE ME RAPPELLE PAS DE LA LÉGENDE ! Hurlai-je dans un éccès de rage.
Pour la première fois depuis nos retrouvailles, il eut l’air décontenancé.
— C’est… Vrai ? Dit-il surpris. Alors tu n’es pas prête.
Il s’avança juste en face de moi, et me dit :
— Rejoins-moi quand elle te sera revenu. Je t’attend.
Toutes mes forces m’ont quitté à ce moment précis, et je me suis effondrée au sol, vidée de toute énergie. Silvar enjamba mon corps et disparut dans les ténèbres de la nuit.
Quelle gifle. J’avais l’impression que mon corps entier venait d’être secoué puis abandonné ainsi, désarmé et en déroute. J’étais toujours allongé sur le sol, les yeux fermés, le sol chaud contre ma peau. Le crépitement des flammes se rapprochait chaque seconde un peu plus de moi, menaçant de me réduire en un tas de cendre. Mais… Je n’avais ni la force ni l’envie de me relever. Non.
L’attaque, la mort… Que devenait Elian ? Avait-il quitté le groupe ? Ou était-il présent ce soir, un fusil à la main ? Comment Silvar avait survécu ? Qu’avait-il fait ces dernières années ?
Aucune de ces questions ne m’ont traversé l’esprit. J’étais concentrée sur un tout autre point : le mythe. Le conte. La fable. L’histoire. La légende.
C’était en quelques sortes mon pass pour retrouver Silvar, qui m’avait demandé de le rejoindre une fois que je me serais rappelé de celle-ci. Et moi je voulais rejoindre ce dieu.
Des fantômes. Oh bon sang, oui, ça parlait de fantômes. Une histoire d’amour, aussi. Une très belle histoire d’amour. Et encore une fois, le monde comme coupable. La cruauté sans limites de l’Homme. Une corde… Non, deux cordes, accrochées au chêne centenaire. Une petite fiole de diamant. Des larmes. Puis la lumière blanche.
Mais ils n’ont pas complètement disparu. Et, par les nuits de pleine lune…
« … quiconque se promènerait près du vieux chêne pourrait apercevoir deux silhouettes fantomatiques qui marchent main dans la main, avant de disparaître dans la brume lorsqu’arrive l’aube… ».
Je m’en rappelle. PAR LES DIEUX, JE M’EN RAPPELLE !
« Tu sais ce qu’il te reste à faire, Lara. »
Vue du ciel, la ville n’était qu’un immense brasier. Les coups de feu s’étaient tus, les explosions aussi. Tout les survivants avaient quitté la zone depuis longtemps, sauf un. Et les assaillant s’étaient repliés, sauf un. Dans ce chaos indescriptible, il ne restait plus que moi et Silvar.
Je l’ai retrouvé. Après avoir parcouru un chemin tout tracé dans mon esprit, après avoir vu le corps sans vie d’Elian plus tôt, après avoir pleuré toute mon âme. Je l’ai retrouvé.
Il était assis sur un petit tas de débris au milieu de nulle part, à attendre.
J’avançais vers lui d’un pas confiant. De toute façon, qu’avais-je encore à craindre ? Qu’avais-je encore à perdre ? Que pouvais-t-on encore me prendre ?
Silvar m’aperçut. Il se releva alors, me regardant de haut depuis son piédestal de ruine.
— C’est l’histoire de deux amants, dis-je.
— Que la vie avait maintes fois tenté de séparer, compléta-t-il.
Il sourit. Et sortit un objet de sa poche. Une bombe.